Données nouvelles sur Cucullia cemenelensis Boursin, 1923 en France
(Lepidoptera, Noctuidae, Cuculliinae)
par Jean-Paul HERZET  et Patrick ROSSET

Résumé. — La larve de Cucullia cemenelensis Boursin, 1923 est illustrée pour la première fois. Des données sur ses habitats préférentiels, la plante-hôte ainsi que sa répartition en France, sa bionomie et sa phénologie sont mentionnées.

Summary. — The larva of Cucullia cemelensis Boursin, 1923 is illustrated for the first time. Data on its preferential habitats, the host plant like his French distribution, its bionomics and its phenology are mentioned.

Introduction

Les Cucullia au sens large (genres Cucullia et Shargacucullia) sont considérés actuellement comme l’un des groupes de Noctuelles les mieux connus. La recherche active des chenilles permet d’obtenir facilement des imagos qui, lucifuges, sont peu observés dans la nature. Cucullia cemenelensis, découverte en 1923 parC. BOURSIN à Cimiez (Nice, AlpesMaritimes), demeure pourtant méconnue, tant dans sa répartition que sa biologie. Nous présentons ici une première contribution à l’étude de cette espèce réalisée grâce au concours de plusieurs collègues également engagés dans la recherche des chenilles dont la biologie demeure inconnue. Nous nous sommes renseignés auprès de plusieurs entomologistes français et européens mais il s’est avéré qu’aucun n’avait observé la chenille et que rares étaient ceux qui avaient eu le bonheur de voir cette Cucullia venir à leur lampe.

Le premier auteur s’est mis à rechercher la larve dans les stations connues de l’espèce et sur la plante-hôte citée dans la littérature, en suivant les conseils de Philippe FASTRÉ, du Dr Albert LEGRAIN et du deuxième auteur de la présente note. L’ensemble des recherches, bibliographiques et de terrain, permet ainsi d’établir une première synthèse des observations effectuées en France, tant pour l’imago que pour la chenille.

L’imago

La bibliographie existant en France sur Cucullia cemenelensis est assez pauvre et ne se rapporte qu’à l’observation de l’état imaginal. Elle est présentée ici par département et complétée par les observations originales dont nous avons connaissance.
— Alpes-Maritimes : Nice-Cimiez, par C.BOURSIN. Localité type de l’espèce.
— Alpes-de-Haute-Provence : Saint Michel de l’Observatoire, par C. DUFAY [1966] qui mentionne de 1953 à 1965 la capture d’une “vingtaine à une trentaine d’exemplaires en treize ans”.
Sisteron : “En le signalant du Var, R. PASSIN [1965] a mentionné que R. PINKER l’aurait trouvé très abondant près de Sisteron” [in Dufay, 1966].
— Var : l’essentiel des observations pour ce département nous ont été communiquées par T. VARENNE. Elles se localisent dans l’est du département, du niveau de la mer – Anthéor – à la moyenne montagne –Comps-sur-Artuby, 750 m -. Comme pour les précédentes données, il s’agit d’observations effectuées au piégeage lumineux, de fin mai à fin juin.
Capturée par André GEORIS à Barjols (com.pers.).
— Vaucluse : il s’agit d’observations rapportées par G. LUQUET [1986] et par F. MOULIGNIER [1990] qui concernent le massif du Lubéron (Sivergues, Cucuron, Auribeau) et le mont Ventoux.
Capturée par Pierre CLUCK à Bonnieux (com. pers.).
— Bouches-du-Rhône : captures effectuées à Aix-en-Provence par D. FLEURANT (com. pers.) et Vitrolles [J. Bourgogne in Luquet,1986].
— Drôme : Saint-Paul-Trois-Châteaux, capture de Jean-Claude PETIT com. personnelle.
— Carte de répartition de C. cemenelensis en France (Région P.A.C.A.). En haut à gauche : répartition départementale. Le gris clair figure des observations antérieures à 1980 et le gris sombre des observations postérieures à cette date.

La carte (fig. 1) traduit cette répartition. On constate, qu’en France, C. cemenelensis paraît strictement sub-méditerranéenne et localisée à la région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Il s’agit cependant d’un élément atlantoméditerranéen [Ronkay et Ronkay, 1994] présent aussi en Espagne et en Italie. Au regard de cette répartition, il n’est pas exclu que l’on retrouve cette espèce dans d’autres départements de la bordure méditerranéenne française.

Phénologie

Selon DUFAY [1966], l’espèce est bivoltine, la première génération s’étalant de fin mai à début juillet (19 mai au 8 juillet), la seconde “plus rare” selon l’auteur, de fin juillet à fin août (30 juillet au 22 août). Les autres données dont nous disposons, ainsi que nos observations personnelles, n’ont pas permis d’observer cette seconde génération (partielle ?), mais la seule génération de fin mai à fin juin, avec comme dates extrêmes le 5 mai à Anthéor (Var) en bord de mer et le 30 juin à Callas (Var), selon
T. VARENNE.

La chenille

RÉPARTITION DE LA PLANTE NOURRICIERE

La larve a été recherchée sur la plante-hôte citée dans les données bibliographiques, Aster sedifolius ou Aster à feuilles d’Orpin = A. acris [Coste, 1900-1906] = A. sedifolus acer [Fournier, 1977]. Il s’agit d’une plante de la famille des Astéracées, vivace, hémi-cryptophyte d’une hauteur de 20 à 50 cm dont les capitules sont mauves avec un coeur jaune et atteignant 2 à 3 cm de diamètre (planche I). Elle préfère l’étage collinéen sur substrat de calcaire, dolomie, calcaire siliceux, calcschiste, flysch ou grès. On la trouve moins fréquemment sur granit, gneiss et schistes siliceux avec une humidité du sol changeante. Nous l’avons observée dans les départements des Alpes-Maritimes, du Var, du sud des Hautes-Alpes (quatre sites connus), de la Drôme, du Vaucluse et en Corse ; Cette plante est aussi présente le long du littoral italien en Ligurie et, à l’ouest du Rhône, dans le département du Gard (P. R.) d’où elle rejoint l’Espagne où elle a été observée en abondance dans la région d’Olot (Fastré et Legrain, com. pers.)

— Répartition de Aster sedifolius en France.
Sources : www.tela-botanica.org/

DÉCOUVERTE DE LA CHENILLE ET BIONOMIE

Notre recherche de la chenille de cette espèce fut motivée par les maigres connaissances dont nous disposions. Les stades pré-imaginaux ne sont pas décrits et H. BECK, connu pour ses travaux sur les larves de Noctuidae d’Europe, n’a pu nous fournir plus de renseignements que la citation d’une plante-hôte “Aster acris”. En 2004-2005, les prospections menées dans les stations connues de l’espèce nous ont permis d’y trouver Aster sedifolius, dont certains pieds semblaient mangés. Après de nombreuses recherches infructueuses, nous avons enfin trouvé la larve, cachée au sol durant la journée !
La chenille est glabre, lisse, d’une couleur marron clair avec une partie frontale plus clair (planche I). Elle ne ressemble pas aux autres chenilles bicolores des “Cucullia grises” proches par l’habitus (C. xeranthemi, C. dracunculi) mais est en revanche assez semblable à celle de Cuculia mixta lorica. Ceci conforte les travaux de L. RONKAY [1994] qui considère parmi les Cuculliini un groupe “mixta” comprenant dans la zone paléarctique C. lactea, C.vicina, C. mixta et C. cemenelensis. Arrivée au terme de sa croissance, la chenille mesure entre 5 et 7 cm, pour devenir légèrement rosâtre avant la nymphose.
Chaque pied d’Aster occupé héberge une ou plusieurs chenilles qui se tiennent lovées pendant la journée au pied de la plante et sortent la nuit pour se nourrir. La chenille
consomme toutes les feuilles mais pas la tige et change donc de support une fois la tige défoliée. Elle ne consomme pas non plus les fleurs puisque l’Aster n’est pas encore fleuri au moment de sa croissance. La chrysalide passe l’hiver au pied de la plante-hôte, faiblement enterrée dans un cocon de terre mélangée avec des plantes sèches à une profondeur de 5 cm environ.
En captivité, la chenille accepte Aster lynosiris, du stade 3 jusqu’à la nymphose (P. R.) et ne consomme que le feuillage de la plante.

EXIGENCES ECOLOGIQUES ET HABITAT

La chenille de C. cemenelensis se rencontre principalement sur les pelouses pierreuses relativement chaudes et sèches, sur les bords de route ou de chemin, aussi bien en zone ombragée (sous-bois clair à Quercus ilex) qu’en plein soleil. Elle semble avant tout préférer les pieds isolés d’A. sedifolius plutôt que les touffes denses.

Planche I. — Cucullia cemenelensis Boursin et plante nourricière de la chenille.

1 – Larve de C. cemenelensis au dernier stade (photo C. Forster).
2 – Aster sedifolius, sa plante-hôte.
3 – Adulte de C. cemenelensis.
4 – Plante-hôte mangée par les chenilles. Il ne reste que les inflorescences non consommées (photo Y. BAILLET).
5 – Détail des inflorescences d’A. sedifolius.

Bien qu’encore fragmentaires, la recherche et l’étude des stades pré-imaginaux ont permis comme cela est le cas pour les Cucullia d’une manière générale, de relativiser l’apparente rareté de cette espèce. Gardons tout de même à l’esprit que C. cemenelensis est actuellement une espèce très localisée et qu’elle est particulièrement exposée aux dégradations de ses habitats.
Il reste encore à affiner la connaissance de ses exigences écologiques et de sa répartition, notamment en prospectant des stations plus éloignées où l’on connaît sa plante nourricière.
Enfin, le statut exact des deux émergences annuelles reste aussi à établir.

Remerciements

Nous tenons à remercier tous nos collègues entomologistes sans qui cet article n’aurait peut-être pas vu le jour, le Dr. A. LEGRAIN et P. FASTRÉ pour leur aide dans nos recherches de terrain (en fait, les premières informations ont été confiées à P. Fastré par J.C. Petit –CNRS-, d’autre part J. NEL a consacré beaucoup de soin aux recherches relatives à la répartition de la plante-hôte en France…), D. DEMERGES, D. FLEURANT, A GEORIS, T.VARENNE et la famille FORSTER (Autriche) qui nous ont fourni des données inédites sur cette espèce et Y.BAILLET pour la réalisation de plusieurs clichés.
Merci encore à Roger CRUON qui a permisde trouver la plante dans le Var.

Bibliographie

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